On continue à vous mettre au parfum

Dans le précédent article, vous vous étiez arrêté à la faculté de médecine de Salerne dans le sud de l’Italie durant le moyen-âge. En France, à la même période, une université prend un essor formidable en même temps que la ville qui l’abrite dans le Languedoc-Roussillon.


Montpellier l’universitaire et Grasse la douce

Les origines de la faculté de médecine de Montpellier se fondent dans celles du développement de la cité.


La faculté de Montpellier

Elle accueille tous ceux qui se destinent à des métiers médicaux mais aussi juridiques, artistiques et théologiques. Administrée et financée par la papauté, elle connaît néanmoins un libéralisme hippocratique. Elle ouvre ses portes aux étudiants de toutes les classes sociales sans exception et de tous les horizons Elle bénéficie des mélanges culturels méditerranéens et gardera le long des siècles un esprit d’indépendance. Cet afflux d’universitaires contribue à l’accroissement de la ville nommée “Mons Pistillarius” (montagne des épiciers, car les plantes aromatiques prolifèrent sur les collines alentours) ainsi que les commerces fluviaux et maritimes des ports de Lattes et d’Aigues-Mortes. Ce brassage multiculturel et d’échanges avec la Catalogne, la Syrie et essentiellement l’Italie en font un centre foisonnant. Dans le bouillonnement des alambics, un élixir parfumé voit le jour.


L’Eau de la reine de Hongrie

Fleur d'oranger
Fleur d’oranger

Un mélange alcoolisé au romarin et associant de l’eau de rose et d’oranger est élaboré en 1370. Ce souverain distillat aux qualités curatives est dispensé aux malades. Il connaît un grand succès. Reconnu médicalement, il est adopté par les rois et la noblesse durant des siècles. Une légende est brodée sur ses origines et ses bienfaits dans les années 1600 : une reine de Hongrie, grande utilisatrice de cet alcoolat élaboré par un ermite, aurait retrouvé une telle santé et fraîcheur de teint qu’un jeune seigneur l’aurait demandé en mariage alors qu’elle était âgée de 72 ans. Quel coup de publicité ! C’est le premier alcool aromatique doté d’un nom : “ Eau de la Reine de Hongrie” et qui deviendra un produit de beauté. Il restera populaire jusqu’à ce qu’il soit détrôné par l’Eau de Cologne sous Napoléon 1er. Si Montpellier réussit si bien, pourquoi Grasse arrive à lui passer devant ?


La douceur de Grasse

Montpellier est balayé par la Tramontane et le Mistral. Les plantes ne résistent pas sous les pluies cévenoles et les étés arides. En outre, le port d’Aigues-Mortes développé par Saint-Louis pour les croisades, est éphémère : il est situé à l’intérieur des terres, au milieu des marais, et les sables reprendront leur place initiale en refermant le couloir maritime au fil du temps. Deux ports, toujours actifs, assurent l’import-export de Grasse. Le premier à Cannes, pour l’expédition vers Nice et Gênes des draperies et des articles en cuir grassois. Le deuxième à Antibes pour le trafic de produits multiples. Dans tous ces échanges, des graines et des végétaux proviennent d’Espagne, de Syrie et d’Italie et plus tard des Indes. Leurs cultures à Grasse se font avec succès : nichées à l’abri du massif de l’Esterel et des Préalpes, à proximité de la méditerranée, elles jouissent du climat méditerranéen et d’un micro-climat. Les oliviers voient s’épanouir les bigaradiers hispano-italiens, les rosiers de Syrie, les œillets, violettes, tubéreuses et plus tard le jasmin grandiflorum des Indes. De nouvelles plantes seront découvertes grâce aux expéditions  vers le Nouveau-Monde.

Violette


Naissances

Dans les cales des navires en retour se cachent des trésors : vanille, cacao, tabac, épices. Ce sont des arômes exotiques qui excitent la curiosité des aristocrates. Ils sont les seuls à pouvoir s’offrir ce luxe et le monopole de ce commerce se fait en Italie.


L’apothicaire-parfumeur

Sur la péninsule, les aristocrates s’entichent des eaux parfumées cosmétiques conçues par des apothicaires imaginatifs. En 1533, la jeune Catherine de Médicis n’a pas oublié de mettre dans ses bagages de jeune mariée son apothicaire florentin. La future reine de France fait découvrir aux nobles le parfum. Ils en sont fous : la demande est forte et on voit fleurir à Paris les échoppes des apothicaires spécialisés. La mode est lancée. On trouve même des recettes d’eaux florales dans les fascicules qui sortent des imprimeries. Celles-ci remplacent avantageusement les copistes et permettent l’accessibilité des écrits par un plus grand nombre de lecteurs qu’auparavant. La connaissance peut être à la portée de ceux qui savent lire, mais l’ignorance peut avoir encore sa place.


Le parfum

Persuadées que toutes les maladies proviennent de l’eau, les populations s’interdisent l’utilisation pour leur hygiène durant des années. On lutte contre les miasmes en parfumant l’air. Louis XIV proscrit les bains, mais se parfume. Exit le savon, les ablutions se font à l’eau florale, car la peau qui est exposée (visage, cou et décolleté en plus pour les femmes) doit être belle. On se frictionne avec l’Eau de la Reine de Hongrie à laquelle de la lavande et de la marjolaine ont été ajoutées. La marquise de Sévigné en est une fervente utilisatrice ainsi que madame de Maintenon. Le vinaigre de toilette est en vogue. Le Grand Siècle voit ses nobles, hommes et femmes, poudrés de la tête aux pieds. Les perruques, les gants, les éventails, les chapelets, les mouchoirs, les vêtements, les sachets à porter en dessous et les gants sont parfumés. Les exploitations des plantes à parfum deviennent plus importantes. À Grasse, où les paysans font la distillation de leurs plantes et fleurs, la production s’intensifie.

Les gantiers-parfumeurs

costumes d'aristocrates

En 1700, la cité compte 30 ateliers de fabrication de parfum et 40 ans plus tard, 65 sont dotés de petits alambics. Les artisans de Grasse parfument leurs fameux gants verts. Officiellement déclarée par le roi, la corporation des gantiers-parfumeurs possèdent une grande renommée. Toutefois, dans le domaine de la ganterie verte, Grasse connaît de rudes concurrents : Nice et la rivièra italienne. L’exportation du myrte est tellement importante qu’il y aura pénurie. Une réglementation locale sera prise pour limiter les quantités commercialisées de la plante. À Paris, c’est l’ouverture de fameuses boutiques de parfum : Lubin en 1774, puis Houbigant en 1775, rue du Faubourg Saint Honoré. Jean-Marie Farina lance une eau parfumée aux agrumes, revigorante et célèbre dont la recette est gardée secrète.

Toute l’aristocratie occidentale se pâme sous le parfum pendant que le peuple gronde. Les effluves de la révolution française, de la guerre et de la Terreur étouffent le divin nectar. Quand le parfum est-il donc revenu ? Comment Grasse a t-elle vécu ces terribles moments et comment s’est-elle relevée ? Quelle sera la suite ? Au prochain article, vous le saurez.

1 thought on “On continue à vous mettre au parfum

  1. Mais quel bel article que voilà, j’y ai appris avec plaisir plein de choses, j’en ai encore les effluves dans la pièce… Bravo Mariapia

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