Le retour du parfum

Ami lecteur, bonjour ! Vous avez lu les deux précédents articles ? Non ?
Alors, précipitez-vous si vous souhaitez connaître l’histoire de la ville de Grasse et du parfum ! Le dernier article vous avait mené jusqu’au seuil de la Révolution Française. Les nobles français fuient le pays dans le meilleur des cas. L’aristocratie représente l’unique clientèle des parfumeurs et le parfum rentre alors en disgrâce, car il est un symbole de la monarchie.  À peine éclose, la parfumerie se referme jusqu’à l’époque du Directoire (Première République de 1795 à 1799). Cette période voit alors l’émergence d’une nouvelle élite qui va permettre au parfum son retour en grâce : la bourgeoisie.

Incroyable et merveilleuse renaissance

Le carcan de la sobriété, imposée par Robespierre, vole en éclats à la disparition du révolutionnaire. Des royalistes rescapés de la Terreur, de retour d’exil ou libérés, décident de se démarquer de la population par l’extravagance de leurs tenues, leur langage et leur façon de vivre.

Incroyables et Merveilleuses

Aux bons plaisirs des Incroyables et des Merveilleuses

Les femmes optent pour des robes de style grec, transparentes et sans poche. Le sac à main, dénommé réticule, fait son apparition. Du côté masculin les cheveux sont longs, les hommes s’exhibent en redingote anglaise revisitée et en collet monté jusqu’aux oreilles. Ce sont des Merveilleuses et des Incroyables arborant des chapeaux extravagants. C’est une frénésie vers les plaisirs, le retour du luxe, la frivolité et aussi le parfum. Les essences fortes sont prisées : de la civette et du musc surtout. Les adeptes sont d’ailleurs surnommés les muscadins. Cet engouement monte crescendo : savon, pot-pourri, parfum. Ce désir de revivre est néanmoins limité, car l’état de la France est catastrophique malgré la liberté de commerce instaurée par la Révolution


Qui va remettre sur pied la France ?

La paix n’est toujours pas revenue, l’économie est au plus bas, la sécurité est inexistante et les routes sont dans un état épouvantable.  
À une trentaine de kilomètres de Grasse, du côté d’Antibes, un jeune militaire corse ambitieux et déterminé, y a installé sa famille. Il va rentrer dans l’Histoire en effectuant le coup d’État du 18 brumaire. Vous devinez ? 
Le général Bonaparte, une fois à la tête du pays, va remettre sur pied la France. Il y remet de l’ordre et l’organise. Il instaure de grandes réformes pour la stabilité et l’expansion. C’est le retour d’un véritable essor économique qui va permettre aux villes et villages français à l’instar de Grasse de retrouver de l’énergie. 


L’embellie du parfum
 

Grasse, se régénère après avoir perdu près de la moitié de sa population durant la Révolution. La crise économique du cuir a touché durement la ville, mais les besoins des nouveaux riches permettent aux artisans et exploitants locaux de se concentrer sur le domaine de la parfumerie. C’est une envie d’élégance, de fraîcheur et d’hygiène qu’ils vont assouvir.


Le développement de la parfumerie

Les descendants des fondateurs de la parfumerie comme les familles Galimard et Chiris à Grasse reprennent leurs activités. Ils répondent aux demandes croissantes de parfums et de cosmétiques. De nouvelles industries et de nouveaux métiers apparaissent :

  • des fournisseurs de matériels industriels nécessaires à la distillation s’installent à proximité des villes comme Grasse ;
  • des ateliers de distillation se développent au plus près des exploitations florales, car la fraîcheur des fleurs pour l’extraction est primordiale ;
  • les ateliers de flacons en cristal et en verre intensifient leur activité ;
  • des parfumeurs s’établissent dans la capitale.

Jean-Joseph Farina ouvre une boutique rue du Faubourg St Honoré à Paris. Sous le nom de son aïeul, Jean-Marie Farina, il vend l’Acqua Mirabilis qui était à l’origine un élixir médicamenteux. C’est un mélange contenant de l’eau de mélisse, du romarin, de la bergamote, du cédrat, du néroli et du citron. Cette eau de Cologne titrée à 86 degrés, glacée et revigorante est composée à Grasse


L’addiction impériale

Le jeune général Bonaparte qui était un fidèle client de Galimard est devenu l’empereur Napoléon 1er. Cest un homme qui prend soin de sa personne. Il aime prendre des bains et fait installer pour la première fois des robinets et l’eau courante. Il a une véritable addiction à l’Acqua Mirabilis : il en consomme entre 40 et 60 litres par mois. Lors des campagnes napoléoniennes, l’eau de Cologne qui est contenue dans des flacons verts cylindriques accompagne l’empereur : il glisse dans ses bottes ces rouleaux pour pouvoir continuer à être parfumé à cheval. 

Même en exil, Napoléon Bonaparte continuera à se parfumer notamment grâce aux bons soins de son fidèle mamelouk qui lui élaborera spécialement une eau parfumée.


Les parfumeurs impériaux

Napoléon 1er n’est pas le seul à s’adonner au parfum. Sa première épouse, l’Impératrice Joséphine, est très coquette. Plus âgée que lui, elle se maquille et se parfume pour lui plaire. Les parfumeurs de l’impératrice se nomment Houbigant, Gervais Chardin et Lubin. Ce dernier, qui était apprenti auprès de Maître Fargeon parfumeur attitré de la reine Marie-Antoinette, avait quitté la capitale lors de la Révolution.  Pierre-François Lubin s’est installé à Grasse en 1792 et s’initie, grâce au maître parfumeur Tombarelli, à la méthode italienne importée deux siècles plutôt (voir précédent article). 


Les parfums emblématiques et grands noms de la parfumerie

L’Eau Vivifiante de Lubin, qui s’appellera plus tard Eau de Lubin, est adoptée par Joséphine et la soeur de l’empereur, Pauline. Ce jus merveilleux connaît une renommée mondiale et sera le premier parfum exporté aux États-Unis en 1830. Plusieurs succursales Lubin s’implantent alors en Nouvelle-Orléans, Saint-Louis et New-York.
Outre Lubin, d’autres grands noms de la parfumerie apparaissent. Pierre-François Pascal Guerlain, diplômé de chimie, ouvre sa première parfumerie en 1828 dans la rue de Rivoli à Paris. En 1853, à l’occasion du mariage de l’impératrice Eugénie, il lui dédie spécialement un parfum frais et floral. Ce jus est caché dans une bouteille ornée d’abeilles : l’Eau de Cologne Impériale. Il devient le parfumeur officiel de l’impératrice : elle se maquille et se parfume Guerlain

Flacon Lubin – source Archives de Paris


Têtes couronnées et renommée internationale

Toutes les cours royales européennes s’arrachent les cosmétiques et parfums Guerlain. Ainsi, l’Impératrice Élisabeth d’Autriche et de Hongrie (Sisi) utilise une fameuse crème à la fraise de Guerlain

L’Impératrice Sisi

Les parfums de Grasse sont prisés dans toute l’Europe par la bourgeoisie et l’aristocratie. Les familles de ces classes aisées viennent prendre des bains de mer à Nice et font construire de magnifiques villas. Les Anglais, dont la reine Victoria, s’installent chaque hiver sur la French Riviera (d’où la célèbre avenue nommée promenade des Anglais à Nice). Le tsar et sa famille y séjournent occasionnellement. La Côte d’Azur ne se trouve qu’à une cinquantaine de kilomètres de Grasse.Les têtes couronnées et les bourgeois peuvent y faire leurs achats d’eaux parfumées en profitant du nouveau moyen de transport du XIXe siècle qui permet de se déplacer plus rapidement que les anciennes diligences : les chemins de fer. Ce tourisme élitiste contribue à faire grandir la renommée de la capitale du parfum et intensifier son essor économique.

C’est l’âge d’or de Grasse : spécialisation dans les matières premières naturelles, extension des cultures florales. La ville du Var devient le fournisseur-grossiste en matière première pour la parfumerie en améliorant les techniques d’enfleurage et de distillation grâce à la machine à vapeur.

Atelier de triage de roses dans les établissements Roure-Bertrand de Grasse


Le parfum à l’ère industrielle

Nommée siècle de la révolution industrielle, cette période est dominée par d’importants progrès et de grandes découvertes dans tous les domaines, dont la chimie. Le monde est définitivement lancé dans la modernité.


L’effet chimie

Dans la parfumerie, Guerlain est un explorateur qui va dénicher aux confins du monde des trésors inédits pour faire fleurir de nouvelles senteurs. 
La clientèle des parfumeurs a envie de parfum opulent et capiteux : l’Orient est à la mode (fève Tonka, vanille, héliotrope). De nouveaux noms de parfumeurs émergent : Pinaud, Bourgeois, Molinard, Piver et Worth. Roger et Gallet achète l’enseigne Jean-Marie Farina en 1862. 

Flacons Bourgeois – source Archives de Paris

Les progrès de la chimie organique font évoluer considérablement la parfumerie : les molécules des plantes sont isolées et synthétisées dans des laboratoires et les assemblages sont originaux et travaillés différemment.
Les produits de synthèse sont considérés comme vulgaires jusqu’à ce que les préjugés soient levés avec le parfum Jicki de Guerlain mariant la synthèse (vanilline) et le naturel ainsi qu’avec celui de Fougère royale de Houbigant qui synthétise la coumarine tirée de la fève Tonka. Les produits de synthèse permettent aux parfumeurs d’élaborer leurs produits en effaçant certaines contraintes : ils ne sont plus astreints à patienter pendant 4 ans pour pouvoir extraire l’arôme du rhizome de l’iris par exemple. Ils vont pouvoir créer les fragrances de fleurs dites “muettes” (lilas, muguet). La parfumerie devient une industrie.


L’industrie du parfum

Dans cet univers, deux autres produits sont intimement liés au nom d’un parfum.   Selon vous, qu’est-ce qui vous permet du premier coup d’oeil de distinguer votre parfum habituel dans une boutique ? La boite et le flacon.

Source Archives de Paris

Au XIXe siècle, il y a de plus en plus de fabrication et la course au profit est bien lancée. Afin de se protéger des contrefaçons, les fabricants du flaconnage et du cartonnage déposent leurs dessins et modèles auprès du Conseil de Prud’hommes de la Seine. Une loi réglemente la propriété industrielle et les dépôts effectués sont des marques de fabrique qui garantissent leur unique exploitation. 

Palais de l’industrie construit pour la première exposition universelle

À cette époque, la publicité écrite est à ses balbutiements. Chaque exposition universelle est une ressource pour se faire connaître dans le monde entier. C’est ce moyen qu’utilisent les parfumeurs pour se distinguer de plus en plus de l’univers des savonniers et des pharmaciens ainsi que de l’industrie chimique.  Dans ce monde en ébullition, où les idées fourmillent et les inventions foisonnent, la capitalisation prédomine : c’est le début de la rentabilité et de la recherche à la rapidité.

Au début du XXe siècle, une invention va transformer le monde de la confection et entraîner la création de la haute-couture : la machine à coudre. Cette machine démocratise la mode. Alors, les aristocrates vont se tourner vers des couturiers pour se faire confectionner des vêtements haut de gamme et sur-mesure.

On assiste à la création de l’industrie du luxe avec de grands noms de couturiers auxquels sont associés des parfums. Désormais, mode et parfum sont indissociables, et des noms apparaissent et vont devenir emblématiques. Nous vous invitons à les découvrir prochainement.






1 thought on “Le retour du parfum

  1. C’est avec plaisir que j’ai lu tes trois excellents articles ! Mais quel suspense, il va falloir attendre pour la suite… Mais j’adore. Merci pour cet incroyable travail que tu as effectué et pour ta très belle plume ! Bravo et félicitations Mariapia…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *