Burn-out : faire évoluer la prévention

Le concept de burn-out, ou épuisement professionnel, est apparu dans les années 1960, désignant une fatigue extrême liée au travail. Aujourd’hui, ce sujet est devenu un problème de société et de santé publique. Il frappe autant les femmes que les hommes, quel que soit le milieu social ou le type d’emploi. Il touche aussi bien le privé que le public, et se situe en 2e position dans les affections d’origine professionnelle. Comment s’est imposé ce concept dans l’histoire du monde du travail ? Quels signes doivent alerter ? Quels moyens de prévention contre le burn-out ont été mis en place pour remédier au risque ?

Le concept de burn-out : une légitimation progressive

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Le burn-out : un concept ancien

La fatigue et l’épuisement professionnels existent depuis toujours. Les romans d’Émile Zola, qui décrivent la souffrance au travail au XIXe siècle, en témoignent. Mais l’évolution du monde du travail depuis la Seconde Guerre mondiale en a modifié l’expression.

Premiers repérages dans les années 1950

Les symptômes de cette pathologie ont été repérés dans les années 1950 par des psychiatres européens chez des personnes souvent consciencieuses, chargées d’importantes responsabilités professionnelles. Le terme utilisé était alors dépression d’épuisement.

L’appellation spécifique de burn-out a commencé à être utilisée dans les années 1960, et les travaux du psychanalyste américain Herbert Freudenberger ont permis de conceptualiser le terme en 1975. Son étude a porté sur les nombreux bénévoles des Free Clinics, établissements de santé offrant des services gratuits (ou à un coût minime) aux personnes défavorisées.

À partir de l’observation du mal-être de ces intervenants, il a pu classer en douze étapes les différentes phases de son expérience, de l’ambition excessive née d’un « besoin de prouver », jusqu’à l’étape de l’épuisement potentiellement mortel.

Un test de mesure

La notion de burn-out a été popularisée dans les années 1970 par la psychologue américaine Christina Maslach. Ses travaux, associés à ceux de Susan Jackson, ont achevé de donner une certaine légitimité au concept par la publication en 1981 d’un livre accompagné d’une méthode de mesure, le Maslach Burnout Inventory (MIB).

Ce test permet, en 22 questions, de mesurer l’épuisement. Il a d’abord été destiné aux professions de soin, puis élargi aux enseignants et éducateurs, avant d’être diffusé en 1996 à la population générale. D’autres outils ont été créés, mais cette méthode reste la plus utilisée aujourd’hui.

Le burn-out : définition et facteurs de risque

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Des symptômes et des facteurs de risques multiples

Le burn-out est une pathologie complexe. On peut le définir comme un état d’épuisement physique, émotionnel et mental qui résulte d’un investissement prolongé dans une situation de travail exigeante et un contexte dégradé. Il provient d’une anomalie dans le rapport du sujet avec son travail, d’un stress important et répété.

Des symptômes hétérogènes

Les signes, divers et variés, touchent différentes sphères :

– physique : troubles du sommeil, fatigue générale, douleurs, tensions musculaires, vertiges, somatisations diverses ;

– émotionnelle : irritabilité, hypersensibilité, pessimisme, indifférence, manque d’entrain, perte de confiance en soi, perte de motivation, stress post-traumatique ;

– cognitive : difficulté de concentration, diminution de l’attention, incapacité à prendre des décisions, difficulté à faire des opérations simples ;

– comportementale et relationnelle : repli sur soi, hostilité, agressivité, impulsivité, désengagement de son travail.

La personne atteinte  « se consume » littéralement de l’intérieur. Elle a la sensation d’être vidée de ses ressources, et les temps de repos ne suffisent plus à recharger ses batteries.

Elle ne trouve pas d’issue à la situation, doute de ses compétences et finit par être atteinte dans son estime de soi. La dépression et le mal-être peuvent aller jusqu’au suicide.

Les contextes favorisants

Les situations susceptibles de déclencher un burn-out sont multiples : surcharge de travail (due souvent à une compression de personnel), objectifs irréalistes, conflits avec la hiérarchie ou les collègues, manque de soutien ou de reconnaissance, confrontation douloureuse à la souffrance ou à la mort.

Les techniques de management du XXIe siècle ont fortement aggravé le phénomène. Les conditions de travail actuelles, valorisant l’hyperactivité, favorisent la multiplication des cas d’épuisement.

Dans certaines entreprises, la connexion permanente aux nouvelles technologies est un risque supplémentaire. La surcharge d’informations, de réunions, ainsi que les changements récurrents dans les façons de faire, font également partie du stress renouvelé.

Un isolement fragilisant

Par ailleurs, le sentiment de solitude s’est accentué du fait de la disparition des espaces de discussion et de délibération dans le travail. Ceux-ci représentaient une soupape, en permettant d’élaborer les compromis nécessaires au bon fonctionnement d’un service ou à la réalisation d’un projet.

Avant, les problèmes pouvaient s’exprimer au travers des luttes sociales et syndicales. Aujourd’hui, la personne est isolée. L’ambiance de compétition entre les salariés casse les solidarités. La réponse aux problèmes devient individuelle, s’exprimant à travers la santé plutôt que par la lutte. C’est le corps qui parle, plus que l’individu.

Les personnes consciencieuses davantage touchées

Selon la HAS (Haute autorité de santé), les professions d’aide ou de soutien, telles que les infirmiers, médecins, enseignants ou policiers sont particulièrement exposées. L’épuisement professionnel touche prioritairement les personnes fortement engagées dans leur travail, qui ont donné du sens à la profession qu’elles ont choisie.

Ce processus, appelé poétiquement « maladie de l’idéalité », atteint également davantage les personnes ayant un certain profil émotionnel (tendance à percevoir la réalité comme menaçante et problématique), les individus consciencieux et perfectionnistes ou en quête de gratitude.

La reconnaissance du burn-out, première étape de la prévention

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Accentuer la prévention pour limiter le risque

En France, on n’a commencé à parler de ce phénomène qu’à partir de 2006, après la série de suicides à France Télécom. On s’est alors penché sur les risques psychosociaux liés à l’environnement professionnel, et un accord a été signé en 2008 sur la prévention du stress au travail.

Les prémices d’une prise en compte

Mais on accuse un retard important dans ce domaine. Les pathologies psychosociales n’ont été ajoutées aux maladies d’origine professionnelle qu’en 2015 avec la loi Rebsamen sur le dialogue social.

Il ne s’agit que d’un début de reconnaissance. L’Assemblée nationale a refusé en février 2018 la proposition de loi du député François Ruffin visant à inscrire plusieurs de ces pathologies psychiques au tableau des maladies professionnelles.

Le burn-out n’est pas référencé non plus dans la classification internationale des maladies de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) ni dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, les deux nomenclatures internationales de référence.

Pour le salarié : un parcours du combattant

Le parcours du salarié reste donc compliqué. Pour obtenir une reconnaissance, il doit saisir le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles et réussir à prouver une incapacité permanente partielle d’au moins 25 %, ainsi que le lien entre les symptômes et son travail.

La tâche est ardue, tant les symptômes sont variables et subjectifs. En l’absence d’une définition claire, la plupart des dossiers sont rejetés. L’ampleur du phénomène reste difficile à évaluer, car les données épidémiologiques sont insuffisantes et les instruments existants (dont le MIB) ne sont pas des outils de diagnostic.

Le coût potentiel pour les employeurs

Les enjeux financiers sont également importants. Jusque-là, le burn-out engendre des arrêts de travail classiques, indemnisés par l’assurance maladie. Or, s’il était reconnu comme maladie professionnelle, il devrait être couvert par la branche AT/MP (accidents du travail-maladies professionnelles) avec un financement des employeurs. Ceux-ci n’y ont donc aucun intérêt.

Ce n’est pourtant qu’au prix de cette reconnaissance que l’on pourra mettre en place de meilleures politiques de prévention, avec un effet bénéfique à long terme sur la santé et, in fine, sur le coût du travail.

Prévention et soin : les outils existants

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La médecine du travail : un pilier de la prévention

À l’heure actuelle, une politique de prévention doit être mise en œuvre dans toutes les entreprises, transcrite dans le Document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER ou DUERP).

Un inventaire des risques obligatoire

Ce document est un inventaire des risques en matière de santé et de sécurité, imposé par le code du travail à tout employeur (entreprises, administrations, associations), quel que soit le nombre de salariés.

C’est un point de départ de la démarche de prévention. Il permet d’identifier les dangers et d’analyser les risques, afin de définir un programme annuel de prévention et d’action. L’employeur est tenu de mettre en place des actions « pertinentes » et « adéquates » au regard de l’activité de l’entreprise. Mais, malgré les directives, les risques psychosociaux y sont-ils toujours intégrés ?

Le processus de prévention ne peut fonctionner qu’avec la participation des différents intervenants transitant autour de la personne concernée : médecin du travail, médecin traitant, hiérarchie, collègues et proches. Il est essentiel de détecter les premiers signes, afin d’apporter une aide individuelle précoce.

Comment soigner le burn-out ?

Mais l’alerte est souvent donnée quand les situations sont avancées, notamment lors de phénomènes de décompensation (par exemple un patient qui ne peut pas se lever pour aller au travail, ou qui a un accident pour se rendre à son poste).

Le risque suicidaire est bien réel. Un arrêt de travail est donc nécessaire pour mettre le patient en retrait de sa situation de souffrance. Cette pause professionnelle, qui peut être longue, doit être associée à une médication et à un suivi psychologique.

Quand on a vu venir la crise, les médecines douces peuvent permettre de ne pas sombrer, et quand on a plongé, elles peuvent aider à remonter la pente. Méditation, relaxation, yoga, sophrologie, réflexologie sont autant d’approches à la portée de tous pour apprendre à prendre soin de soi. On peut aussi commencer par des moyens simples, tels que des astuces pour faciliter l’endormissement.

Le rôle du médecin du travail est fondamental. Il fait le pont entre le patient et sa situation professionnelle, et représente le patient auprès de son employeur. Son rôle est d’interpeller ce dernier pour suggérer des changements, afin que le salarié puisse reprendre son poste. Mais sa marge de manœuvre reste souvent limitée.

Dans certains cas, le salarié peut réintégrer son emploi ; dans d’autres cas, le traumatisme est tellement profond qu’un retour en arrière est impossible. Une situation de harcèlement ou un contexte de souffrance durable peuvent laisser des séquelles indélébiles. Mais il est possible, avec une bonne prise en charge, de se reconstruire ailleurs. C’est parfois l’occasion de réfléchir à une reconversion. Se tourner vers un métier qui correspond mieux à ses attentes et qui répond davantage à ses besoins permet de s’ouvrir à un autre avenir possible. Après la traversée du désert, l’épreuve peut alors devenir une force, voire une chance.

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